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Du boulet en randonnée

AVERTISSEMENT : Ce billet date de plus d'un an.

Nous n’étions que deux, dans l’attente du troisième.
Pour une randonnée réputée un peu difficile, 16 km, une boucle autour d’un lac, mais avec un parcours agrémenté de montées/descentes plutôt corsées.
Les prévisionnistes météo annonçaient 28, maximum 29°C.
Normalement, je n’attends pas – le fameux « quart d’heure charentais » –, mais là, si, j’ai attendu pour le covoiturage. Une seule voiture, c’est mieux pour préserver la planète.
Le téléphone sonne au bout de douze minutes « Mais vous êtes où ? »… Pas loin, vraiment… « Ah ben oui, c’est là où je viens jouer à la pétanque… »
Trop tard, le boulet est embarqué.

Sur place, 33-34°C, même pas « ressentis », non, c’est ma montre de randonneur qui l’affirme.
Je connais bien le deuxième, mais le troisième, je ne l’ai vu qu’une fois, à une rando plus « facile ».
Dès le premier kilomètre, il – déjà alias “le boulet” – décroche à la moindre montée. Mais il affirme que tout va bien. D’ailleurs, il a la tenue de randonneur qui devrait le confirmer, la grosse bedaine en plus.

Les kilomètres s’enchaînent au rythme du boulet qui accélère dans les descentes et cale dans les montées. Normal, finalement, pour un boulet.
On stoppe pour boire et discuter, et le boulet semble content de lui, d’être là. En plus, le boulet n’est pas bavard, n’est pas de bonne compagnie.
Nous voilà repartis, le boulet derrière. Je l’observe régulièrement en me retournant, cherchant une stratégie de sauvegarde/sauvetage.

Plus très loin, il y a une passerelle qui traverse le lac, je décide de le larguer provisoirement là, le boulet.
Mais, même et surtout avec un boulet, il faut de la stratégie : « Tu sais pas, il y a une passerelle pas loin, tu pourrais nous y attendre tranquillement, en plus c’est ombragé. Nous, on continue une petite heure et on te récupère de l’autre côté ». Le boulet fait semblant de minauder, puis accepte. Je m’assure que la téléphonie passe : merveilleux, la 4G est même là, il pourra jouer à la pétanque sur son smartphone !

À deux, nous continuons, et là, c’est du vrai crapahutage. Le boulet y serait probablement resté, dans des râles et des mouvements de bouche de carpe sortie de l’eau et abandonnée en plein soleil.

Nous retrouvons le boulet torse nu, sa chemise à sécher sur la rambarde de la passerelle. Subitement presque convivial, il nous propose un café, il a son thermos et les tasses en plastique qui vont avec. Par 34°C, le café, très peu pour moi, j’ai mon eau.

Nous repartons, le boulet est requinqué, il a même tendance à marcher plutôt vite, sauf dans les montées, mais ce côté est plus « facile ».
Puis, sur du plat, il prend la pole position, comme un meneur. Je laisse faire, même s’il nous sabote toujours le rythme. Et avoir un boulet en point de mire n’est pas la meilleure motivation.

À cinq mètres derrière lui, alors qu’il venait de les négocier sans rien signaler, je vois subitement des trous dans le sol, de vrais pièges, genre conçus par des taupes géantes sadiques et farceuses. J’annonce : « ATTENTION, trous dangereux ! ». Trop tard, le troisième a déjà une jambe enquillée dans le premier trou.
Heureusement, plus de peur que de mal. Pas de blessure ou d’entorse, pas de Gremlin accroché au pied.

Tout en vivant cette scène au ralenti, j’ai vu le boulet continuer sa marche, même en accéléré puisqu’il y avait une belle descente devant lui. Toujours silencieux, pas le moindre arrêt de sa part, et encore moins d’intérêt ou d’empathie pour notre camarade miraculé.

Il restait quatre kilomètres, et j’ai dit au sympathique : « Je prends du champ, je te laisse avec lui, car sinon ça va mal se passer ». Il faut dire que je rongeais mon frein depuis longtemps, ce qui est toujours mauvais en randonnée.
Puis je suis parti à mon rythme, essayant de retrouver un peu de lâcher-prise.

De retour sur le barrage, j’observais, en plein cagnard, guettant le boulet et son accompagnateur improvisé sur la rive du retour.
Et, au bout d’une vingtaine de minutes, les voici. Le boulet, bien rougeaud, avait l’air content d’être arrivé.

Dans la voiture, tantôt il s’accrochait, tendu à la moindre accélération, tantôt il piquait du nez, comme endormi.
De retour sur le parking de covoiturage, le moment des au revoir.
Et le boulet de conclure : « Moi, j’ai passé une excellente après-midi ! »

Vignette : « Un boulet, ça ne réconcilie pas avec l’humanité, ça casse l’ambiance, ça casse le rythme, et c’est même dangereux. » © PF/Grinçant.com (2017)

© PF/Grinçant.com (2017)

4 commentaires sur “Du boulet en randonnée”

  1. Grinçant, vous méritez une médaille sociale ;-)

    En matière de randonnée, à pieds, VTT, ou moto (Trail), j’essaie de mixer l’aventure qui provoque parfois de belles rencontres, ou la sélection naturelle.

    On peut être différents dans ses capacités olympiques ou poétiques, voire gastronomiques, mais il faut un équilibre pour que soit sain. Le roadrunner se calme un peu quand la limace se hâte. De La Fontaine nous décrit bien la tortue qui coiffe le lièvre au finish, même hors compétition un petit effort de chacun arrondit tout, un boulet ça plombe.

    Ça peut gâcher une évasion a priori décompressante et oxygénante.

    En plus du principe sain du covoiturage, il faudrait convenir d’un contrat d’éthique ;-)

    1. PF/Grinçant.com

      Dans ce contexte, le covoiturage est le piège parfait. Sans cette formule, j’aurais pu renvoyer ce « boulet » à son véhicule dès le premier kilomètre, car je sentais bien que cette sortie allait virer au presque cauchemar.

      Un mec comme ça peut vous bousiller une rando à 10/12 à lui seul.

      J’ai une fibre sociale, voire aidante, mais c’est à désespérer de certains comportements et situations. Là, je suis franchement tombé sur un cas. Le pire, c’est que je suis presque sûr de passer pour le salaud dans cette histoire.

  2. Oetcoeur Philippe

    Grinçant, vous soulignez à merveille le délicat équilibre qui doit régner entre les différents participants d’une activité de groupe, afin de la rendre plus réjouissante pour tout un chacun.

    1. PF/Grinçant.com

      Je commence à avoir de l’expérience. ;-)
      Je pensais avoir presque tout vu, mais ça n’est jamais fini, hélas.
      En plus, ce sont des situations qui sont parfois très difficiles à anticiper/éviter.

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