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Le sceau de l’État

AVERTISSEMENT : Ce billet date de plus d'un an.

Mal baisé petit fonctionnaire, il vient de tamponner un document.

Il a ressenti des vibrations lui parcourir le corps.

C’est très agréable.

Il est mal fagoté.

Il a une sale gueule.

Il est derrière un petit bureau grisâtre.

Sa vie est aussi minable que son allure.

Le vide total, l’envie du bien des autres, la jalousie du bonheur.

Ses seuls moments d’extase, c’est lorsqu’il tamponne.

Son administration est satisfaite, il est bien noté, car il tamponne avec zèle.

L’administration est un service public.

Il est donc au service du public.

Une grande cause qui le rend fier.

Lui prendre son tampon le ferait mettre en arrêt de maladie de longue durée.

C’est l’outil qui atteste de son pouvoir.

Petit fonctionnaire minable, à chaque coup de tampon il emmerde quelqu’un.

Si les autres gagnent beaucoup, il faut qu’ils gagnent moins.

Si les autres gagnent moins que lui, il faut qu’ils gagnent encore moins.

Il a pris la mentalité de la maison qui l’emploie.

Voilà vingt ans, il a réussi un petit concours.

Il est entré au Trésor public.

Il y est encore, il y est pour toujours.

Jusqu’à la retraite, il va saigner les contribuables.

De préférence ceux qui gagnent beaucoup, ceux qui travaillent beaucoup, honnêtement.

D’un coup de tampon, il vient rafler la moitié de vos gains.

Si vous ne pouvez pas payer, il tamponne encore plus violemment.

Des papiers de plus en plus sombres.

Lui, il prend encore plus de plaisir.

Pour vous, son plaisir, c’est la saisie de vos biens, de votre salaire, le blocage de votre compte en banque.

On vous montre du doigt, on vous asphyxie.

À bien y regarder, tout cela n’est pas très légal.

Mais on ferme les yeux, il y a le tampon.

Il est là pour veiller à votre bonne foi, surveiller vos déclarations.

Le totalitarisme règne en maître.

Le petit fonctionnaire peut entrer subitement dans votre vie et tout éplucher, la moindre de vos dépenses, le moindre de vos actes.

Les plus gradés, eux, quittent le sérail au bout de quelques années et passent de l’autre côté.

Ils enseignent à ceux qui peuvent les payer comment tromper le fisc !

La trahison fait partie de leur cursus.

Pendant ce temps, les petits tamponnent toujours, en fermant les yeux sur ceux qui connaissent les bonnes combines.

Un papier vert va m’être adressé.

Il est transmis au service du courrier.

J’ai un délai légal de dix jours pour contester.

Aussi, le document ne partira qu’une semaine plus tard.

Placé devant le fait accompli, on me prendra mes sous, de la plus odieuse manière.

Ester me vient à l’idée.

Sanctionner un abus de pouvoir devrait être un devoir.

Et puis non, je suis au-dessus de tout ça.

Du petit fonctionnaire minable, je m’en tamponne…

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