Aller au contenu

Bonjour, vous êtes bien…

AVERTISSEMENT : Ce billet date de plus d'un an.

« … chez Pierre. En mon absence, vous pouvez laisser un message après le bip sonore. Merci pour votre appel et à bientôt. »

Cette phrase, je l’ai enregistrée une fois.

Et elle a été répétée cent fois, mille fois peut-être.

Mon répondeur est aux aguets, prêt à jouer au perroquet.

Dès que quelqu’un me téléphone, il décroche et me remplace.

Il fait ça très bien.

Je prends connaissance de mes appels au moment qui me semble le plus opportun.

Même lorsque je suis là, il joue les intermédiaires.

Je suis libre de prendre la ligne si la voix de mon correspondant, ou plutôt de ma correspondante, m’inspire.

C’est un filtre, un filtre à humains.

Je ne dialogue qu’avec les gens qui m’agréent.

Et ils sont peu nombreux.

Lorsque c’est nécessaire, je rappelle.

C’est un formidable outil pour mon travail.

Il m’est également possible de l’interroger de n’importe où, à partir de n’importe quel téléphone.

Où que je sois, je sais qui pense à moi et qui m’oublie.

Dernièrement, une superbe voix féminine m’a laissé un message.

Une déclaration d’amour.

Une merveilleuse déclaration d’amour.

J’ai passé et repassé ce message.

Une aussi belle voix ne pouvait qu’être émise par une femme splendide.

Elle a laissé son numéro de téléphone.

Je l’ai rappelée.

Elle a accepté mon invitation.

Effectivement, elle est superbe.

La plus belle femme de mes rêves.

La femme qui se refuse dans mes pires cauchemars.

Nous dînons en tête-à-tête.

Sa présence divine rend le repas divin.

Ensuite, elle me demande où est mon répondeur.

Je lui indique la chambre et l’accompagne.

Un scénario se prépare dans ma tête, je vais être acteur d’un nouveau film X.

Elle entre et se précipite sur l’appareil.

Elle le prend, le serre dans ses bras, l’embrasse…

Je suis là, comme un con, je la regarde.

Elle appuie sur un bouton.

« Bonjour, vous êtes bien chez Pierre… »

Son corps est pris de tremblements, elle pousse des petits cris.

L’orgasme est proche…

De mon répondeur elle est éperdument amoureuse.

Une fétichiste ?

Je regarde mon corps dans un miroir et regrette de ne ressembler qu’à un humain.

© PF/Grinçant.com (Projections 1992-1993)